(CRP/Syfia) Au marché Thystère, sur la route nationale n°1 Pointe-Noire-Dolisie, les "biyala ngoto" (celles qui étalent leurs marchandises à même le sol en kituba), des femmes dynamiques, courent après les véhicules chargés de fruits et légumes, puis revendent leurs marchandises.
« Si tu n’es pas débout à 4 heures, tu rates les premiers véhicules qui arrivent et donc ta première vente de fruits... Je liquide ces oranges et, vers 13 heures, j’irai attendre d’autres véhicules. J’espère avoir des safous (prunes) ou des figues », espère tout haut Mâ Ngudi, pressée de vendre ses oranges à des clients.
Mâ Ngudi, mère de trois enfants dont des jumeaux, est l’une de ces femmes dites "biyala ngoto" (celles qui étalent leurs marchandises à même le sol en kituba), qui occupent les bords de la chaussée du marché Thystère situé à Pointe-Noire au quartier Mongo-Kamba, sur la route nationale n°1 Pointe-Noire-Dolisie. Elles vendent des fruits sur des sacs posés à même le sol, évitant ainsi parfois les contrôles du comité du marché et les taxes de la mairie. Chaque matin, elles sont en première ligne pour s’approvisionner auprès des agriculteurs ou des transporteurs de fruits et légumes avant de les revendre parfois à des vendeuses qui ont des étals au marché ou directement à des consommateurs.
Mais, avant cela, il faut être rapide. Alors, les "biyala ngoto" se lancent à la rencontre des véhicules de marchandises en provenance des villages environnants. Elles courent vite, s’accrochent à un sac de marchandises et se laissent trainer, quitte à en perdre l’équilibre, pendant que le véhicule roule au ralenti sur le goudron jusqu’à l’arrêt. Certaines tombent et s'en sortent généralement avec des égratignures... « Ce commerce demande beaucoup de force et de courage, c’est la plus rapide qui arrache la marchandise », résume l'une d'entre elles. « Il faut savoir courir, marquer la marchandise avec ses initiales ou jeter un pagne dessus. Quelques fois, on se querelle, on s’insulte, mais on en arrive jamais aux mains. Nous finissons toujours par nous réconcilier. Nous sommes une famille », assure Aline.
Clients admiratifs
Des scènes quotidiennes qui impressionnent les autres vendeuses qui admirent la capacité de leurs concurrentes querelleuses à être toujours en mouvement. Leurs clients aussi sont admiratifs, à l'image de Christelle Tsondé : « Les biyala ngoto bravent le danger. Lorsqu’elles poursuivent sur le goudron les véhicules de marchandises, elles risquent d’être écrasées, car parfois certaines tombent... Ces femmes ont du courage dans le ventre ! » Francis, un autre acheteur, ajoute : « Elles ont compris que celle qui ne risque rien n’a rien ! Pour ces battantes, le quotidien est un combat pour la vie et que la plus forte gagne ! »
La lutte commence donc à partir de 4 heures du matin et se termine tard dans la nuit. « Nous effectuons cinq ventes dans la journée, j’espère tomber sur un véhicule de figues », confie, le cou tendu, scrutant l’horizon, Christelle, célibataire, mère de trois enfants, par ailleurs en charge de ses deux cadettes qu’elle élève seule. « Je paye le loyer, l’école des enfants, une formation en coiffure à mes sœurs grâce à mon commerce », énumère-t-elle.
Se lancer dans cette activité ne nécessite pas beaucoup des moyens financiers au départ. « Ma mère était déjà vendeuse. Je n’avais que 15 000 Fcfa (23 €) quand j’ai commencé. Aujourd’hui, je paye l’école des enfants et je fais face à toutes les dépenses de la maison », se réjouit Mâ Ngudi dont le mari a perdu son emploi il y a quatre ans. De son côté, Christelle a débuté avec seulement 2 000 Fcfa (3 €) comme fonds de commerce : « J’avais acheté de la ciboule et du gombo. A la fin de mes ventes, j’avais 19 000 Fcfa (28 €), c’était encourageant ! », fait savoir Christelle qui rêve à présent d'ouvrir un dépôt de ciment « afin de diversifier mon commerce. »
Bénéfices encourageants
Les biyala ngoto réalisent des bénéfices allant de 200 000 à 300 000 Fcfa (de 300 à 455 €) par mois, « surtout en saison des fruits. Il suffit ensuite de savoir gérer. Chaque jour, je fais au moins 10 000 Fcfa (15 €) de bénéfices », évalue Mâ Ngudi. Christelle ajoute, fièrement : « Nous n’envions pas ceux qui travaillent pour l’Etat ! »
De quoi affronter dépenses et préjugés... « On pense que les biyala ngoto sont des crapules, des femmes incapables de tenir un foyer. Pourtant, la mienne est une bonne épouse. Je l’accompagne le matin pour la protéger des braqueurs », confie Pierre, le mari d’Aline.
Christian Loémba, vice-président du marché Thystère, observe que cette activité prend de l’ampleur : « Ce lieu abrite une importante gare routière (route nationale n°1 tronçon Pointe-Noire-Dolisie, Ndlr). Quand il y a beaucoup de fruits, nous enregistrons près de 1 000 biyala ngoto. A l’ouverture du marché, en 2013, elles n’étaient que quelques dizaines. »
Blanche Simona
Août 2016