(CRP/Syfia) A Brazzaville, les enfants handicapés, notamment les filles, sont souvent considérés comme un poids par leurs familles. Rééduqués par des associations, certains et certaines intègrent l’école classique ou apprennent un métier.
Il est environ 10h, un lundi de janvier, au quartier Château d’eau. Nous sommes à Makélékélé, dans le 1er arrondissement de Brazzaville. Précisément dans l’atelier de menuiserie de l'association Handicap d’Afrique. Ce centre Medipsyp, un centre Médico-psychopédagogique, aide les enfants et jeunes handicapés à construire leur avenir.
Franck Sounga, la vingtaine révolue, est l'un d'entre eux. Occupé à scier à la machine une planche de 6 mètres de long, il a à sa droite trois autres élèves, valides, eux. Le centre est en effet ouvert à tous. A proximité, le chef d’atelier aide à monter six chaises en bois. "Avant, j'avais des pertes de mémoire. J'ai passé trois ans à Medipsyp. Quand on m’a conseillé la menuiserie, je n’ai pas hésité ! Aujourd’hui, je me sens à l’aise dans ce métier", raconte, Franck.
Selon les responsables de ce centre ouvert depuis 1996 à Brazzaville, chaque année, une centaine d’enfants (parmi lesquels une cinquantaine de filles) bénéficient d'une rééducation : parler, lire, compter, écrire. Au bout de deux à trois ans, ils intègrent l’école classique ou apprennent un métier. Ce qui leur permet souvent de retrouver l’estime de leurs parents.
Yohann Konda, sourd-muet de 21 ans, fait partie de ces jeunes qui font désormais le bonheur de leurs parents et de leurs encadreurs. "Après trois ans de rééducation à Medipsyp, nous l’avons orienté en menuiserie. Aujourd’hui, nous apprécions son comportement et son travail ici à l’atelier. Yohann a de l’avenir !", témoigne Déo Hilaire Nkounkou, le chef d’atelier de menuiserie.
"Mes parents sont fiers de moi"
Grâce Lessoko, 11 ans, élève à l’école Trois martyrs (Ouénzé, arrondissement 5 à Brazza), raconte son parcours : "J'ai commencé mes études à Medipsyp, car je n’arrivais pas à lire, ni à écrire. J’ai fait trois ans là-bas, puis j'ai rejoint l’école classique. Je suis actuellement en CE2. Et, maman ne m’achète plus de médicaments, car je ne suis plus malade !" Rosine Indangui, la maman de Grâce, confirme : "Avant, ma fille était vulnérable. Elle avait des trous de mémoire et n’arrivait pas à retenir, ni à reproduire ce qu’elle faisait à l’école. Après sa rééducation, elle a effectivement intégré l’école classique !"
Yohann se frotte les mains pour parler en langue des signes. Avec un interprète à côté de lui, il explique, fier du chemin parcouru : "Depuis que j’apprends un métier, mes parents me considèrent. Je gagne 20 000 à 25 000 Fcfa (30 à 40 €) par mois. Je ne suis plus à leur charge. Je m’achète désormais mes habits !" Franck reçoit lui aussi, enfin, la même reconnaissance familiale : "Ma situation s’est améliorée. Quand nous finissons les commandes des clients, le maître menuisier me donne 10 000 à 15 000 Fcfa (15 à 25 €) en fonction des recettes. A présent, mes parents sont fiers de moi. Quand j’ai de l’argent, je contribue aux dépenses de la maison."
Pierre Likibi, éducateur à Handicap d’Afrique, donne quelques uns des secrets de la réussite : "Nous utilisons la langue des signes, car autrement, sans gestes, l’enfant ne peut pas comprendre. Celui qui arrive à bien lire est celui qui mémorise les différents sons et gestes." Fanette Venard Lascombe, étudiante en 3e année à l’université Claude Bernard Lyon 1 en orthophonie, en stage à Medipsyp, observe qu’en cinq semaines "on a semé des graines. Au cours de notre stage, certains enfants font des progrès. Nous avons travaillé avec la méthode de la dynamique de la parole (gestes, mouvements de tout le corps) pour essayer de produire des sons et mieux articuler."
A ce jour, Pierre Likibi pense que "les échecs sont liés au fait que les enfants les plus âgés vont directement dans un atelier apprendre un métier, alors qu'ils ne sont pas encore alphabétisés. Cela peut être un obstacle pour eux." Certains de ceux qui ont pris le temps de suivre d'abord une rééducation rêvent à présent de devenir médecins ou avocats.
Jean Thibaut Ngoyi
Janvier 2017