(CRP/Syfia) Ces derniers mois, les centres de santé de Brazzaville délivrent irrégulièrement les anti-rétroviraux (ARV). Séropositifs, OSC, médecins et politiciens s'inquiètent des conséquences sur la santé et demandent plus de transparence.
Mardi 18 juin dernier, il est environ 10 heures à la pharmacie du Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Brazzaville. Assis autour d’une table, quatre agents de santé comptent consciencieusement des cachets. Une séropositive, mère d’un bébé, rencontrée au Centre de traitement ambulatoire (CTA) du CHU, se réjouit des efforts récents d'organisation entrepris par les autorités sanitaires : "On nous donne actuellement un traitement d’un mois. Lorsqu’il n’y a pas de rupture d'ARV (anti-rétroviraux, Ndlr), on nous en donne pour deux à trois mois." A l’hôpital Marien Ngouabi de Talangaï (6eme arrondissement), un séropositif fait le même constat.
Si, actuellement, les malades semblent soulagés, c'est parce que leur situation a été plus précaire en mars et avril derniers. Une pharmacienne de ce même CTA reconnaissait alors : "C'est difficile pour nous. Les malades ne reçoivent qu'un traitement de 15 jours." Une séropositive, se plaignait : "C’est pénible, en particulier pour nous, les femmes enceintes…"
Selon le Dr Dominique Obissi, directeur départemental de la santé de Brazzaville, il n’y a pas rupture totale d'ARV. Ce ne sont que quelques molécules qui manqueraient de temps à autre. Pour lui, ce problème est lié au temps que prend la commande. Les molécules en stock s’épuisent, car la demande est très forte. Conséquence : les centres de santé utilisent leur stock de sécurité (leur réserve). C’est à ce moment qu'on parle de rupture des ARV.
Leur santé se dégrade
Un docteur à l’hôpital de base de Makélékélé et prescripteur d'ARV, explique que cette rupture crée une résistance aux traitements chez les malades dont l'état se dégrade. Face à ces risques, Valerie Maba, présidente du Réseau national des associations des positifs du Congo (Renapc), s’interroge : "Le gouvernement dégage environ 4 milliards de Fcfa (plus de 6 millions d'€) par an pour acheter des ARV. Pourquoi y a-t-il toujours des ruptures ?" D’après une association qui a dernièrement mené l'enquête, ces problèmes seraient liés à une mauvaise gestion des médicaments et des stocks, au manque de suivi dans les centres de prise en charge et à la mauvaise foi de certains prescripteurs.
Pour cette OSC, la solution serait que la Congolaise des médicaments essentiels génériques (Comeg) commande et achète directement les ARV et soit plus regardante vis à vis des médecins prescripteurs. Pour le moment, la Comeg reçoit les listes des commandes des structures sanitaires puis les envoie au ministère de la Santé qui valide les besoins de ces dernières. La Comeg stocke et distribue ensuite les médicaments qu’elle reçoit du ministère qui les achète lui-même auprès de fournisseurs étrangers.
"Comme au Moyen Âge"…
Députés et sénateurs membres de la commission santé, affaires sociales, famille et genre ont dernièrement manifesté leur désarroi face à certaines mauvaises pratiques dans la chaîne de distribution. Alain Pascal Leyinda, président de ladite commission de l’Assemblée nationale et député de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS, opposition), a martelé : "On ne joue pas avec la santé des Congolais, surtout qu'il y a beaucoup de milliards déversés dans ce domaine actuellement. Mais, curieusement, elle est restée comme si nous étions encore au Moyen Âge… C'est inadmissible !"
Député du Parti congolais du travail (PCT, la mouvance présidentielle), Hyacinthe Ingani, par ailleurs président de l’Ordre national des pharmaciens du Congo, s’interroge lui aussi : "J'ai du mal à comprendre pourquoi le ministère de la Santé continue à acheter des médicaments. Ces derniers ne sont pas un produit banal. Il y a une responsabilité pharmaceutique et des exigences techniques, notamment sur leur approvisionnement."
Selon Guy Patrick Gondzia, directeur général de la Comeg, il y a aujourd’hui près de 17 500 séropositifs sous ARV. Pour trouver une solution durable, le Dr Dominique Obissi estime indispensable, non seulement de "connaître le nombre de séropositifs sous traitement, mais aussi de maîtriser leur consommation moyenne ou mensuelle. Il conclut : A ce moment là, le problème de rupture pourra être maîtrisé lui aussi."
Aiguille De Moussakanda