(Syfia/CRP) À Pointe-Noire, des ONG organisent expositions et formations pour promouvoir les métiers manuels du fil. Leur tâche n'est pas facile avec la concurrence de la friperie importée et le désintérêt des jeunes filles. Certaines passionnées arrivent cependant à vivre de cet art et à transmettre leur savoir-faire.
Sacs, fourreaux, paniers, statuettes fourmillent au village des artisans de Pointe-Noire. Nadège Sounda, la trentaine, propose à sa clientèle des produits d'un autre style, ceux de l’art manuel du fil! : "C'est pour moi une passion et une tradition familiale", explique-t-elle, avant de préciser que c'est sa sœur qui, enfant, lui a appris le macramé. Cette forme de création de tissu se base sur une technique particulière de noeuds, qui peuvent être plats pour les bracelets ou colliers, ou en volume pour fabriquer des objets tels que les rideaux.
Petit retour en arrière… Après son baccalauréat en 2000, Nadège est secrétaire dans des entreprises privées. Elle confectionne pendant ses heures de pause des articles qu’elle propose à ses collègues. "Mes clientes battaient campagne pour moi. Petit à petit, mes revenus se sont améliorés et j'ai tiré mon épingle du jeu", se souvient-elle. Elle fini même par renoncer, "par manque de temps", à son métier de secrétaire pour se consacrer à 100 % à l’art du fil à partir de 2007.
"Une deuxième tirelire à la maison"
Trois ans plus tard, 30 femmes d'agents d’Eni Congo, une société d’exploitation pétrolière, lui demandent de les former au macramé. Nadège accepte bien volontiers de partager ses connaissances. Bien qu’âgées pour la plupart de plus de 45 ans, ces dames disent n’éprouver aucune gêne d'apprendre d'une plus jeune qu’elles. Elles voient plutôt les vertus artistiques et surtout économiques de son enseignement. "Travailler dans une société pétrolière est souvent synonyme de fortune, mais mon époux a accepté volontiers de financer ma formation. Il s'est aperçu qu'après, nous aurons une deuxième tirelire à la maison", explique Albertine, membre du collectif des épouses d'agents d’Eni Congo.
Nadège n'est pas la seule à valoriser ce savoir-faire. Ces dernières années, des ONG congolaises comme Femmes de la charité et le Rassemblement des femmes africaines organisent à Pointe-Noire des expositions-ventes. "Le principal objectif est de promouvoir cet art menacé de disparition, car de moins en moins pratiqué (…)", justifiait en décembre 2010, lors de la deuxième édition de l’exposition, Nina Mabika, présidente de Femmes de la charité et coordinatrice d’un groupe d’environ 25 brodeuses et tricoteuses. En dehors des expositions qui se déroulent une fois par an, ce groupe organise des formations et propose des produits aux clientes nostalgiques des objets faits à la main.
"Revoici enfin le métier grâce auquel nos mamans nous ont élevés !", s’écriait Florence Manguila, à l’occasion de l’exposition-vente de 2010. Réaliste, cette quadragénaire regrettait toutefois que "cette activité, qui rapportait des revenus supplémentaires aux foyers, ait disparu parce que les mamans n'ont pas pu la transmettre aux générations actuelles à cause de leur indifférence."
Artisanat en danger
Un désintérêt dont les causes sont multiples. "De nombreuses filles d'aujourd'hui continuent d'ignorer les avantages économiques de l'art du fil. Elles sont gagnées par la facilité et ne pensent qu'au mariage, certaines même à la prostitution", estime Marceline Loubondo Pambou, présidente du Mouvement des mères pour la paix, la solidarité et le développement. Autre raison de ce relatif abandon : le fait que la clientèle jette dorénavant son dévolu sur la friperie, moins chère. Un tricot fait à la main coûte au moins 5 000 Fcfa (plus de 7,5 €) alors que le même article à la friperie revient à moins de 1 000 Fcfa (1,5 € environ). Ce qui fait dire à Prisca Moulamy, institutrice et mère de deux enfants rencontrée au marché central : "Les brassières faites à la main sont réservées aux nantis !" Même si aucun chiffre officiel n’est disponible, les fripes venues d’Europe et surtout d’Asie attirent en effet de plus en plus les habitants de Pointe-Noire en raison de leurs coûts abordables.
A ce désintérêt et cette concurrence s’ajoute la rareté de la matière première en ville. "On peut passer toute une journée en fouillant dans tous les marchés de Pointe-Noire, on ne trouvera aucun rouleau de fil", regrette Nadège Sounda qui explique cela par la démotivation des importateurs. Ce que confirme l'un d'entre eux qui craint "d'immobiliser son argent en achetant un produit qui n'est presque plus consommé sur le marché congolais." Redoutant de contribuer à la pollution de l’environnement en utilisant du nylon, des associations invitent l’État à faciliter l’obtention des fils en coton au moyen de la coopération avec des pays comme le Mali.
Plus largement, pour Nadège Sounda, les pouvoirs publics gagneraient à subventionner les associations de femmes pratiquant les métiers du fil. "Il y va de l'intérêt de notre artisanat, assure-t-elle, avant de conclure, nous avons de bien bonnes choses à proposer au monde entier !"
John Ndinga-Ngoma
Avril 2011