(CRP/Syfia) A Ngayi, à 12 km d’Ewo, dans le département de la Cuvette-Ouest, les femmes hésitent à s'émanciper de la domination parfois violente de leurs maris. Quelques unes osent toutefois porter plainte à la police et divorcer, pour protéger leurs enfants.
"Mon mari prenait régulièrement de l'alcool en 'bon-pour'... Quand les vendeurs me réclamaient sa dette, cette dernière avoisinant parfois 10 000 Fcfa (15 €). J'étais obligée de payer, afin de le protéger, ainsi que les enfants. Comme si cela ne suffisait pas, cet homme m'a abandonnée avec eux", se lamente Madeleine*, mère de six enfants et membre du groupement Boutou-boutou ("Nuitamment", en lingala, allusion aux femmes qui ne rentrent de leurs activités champêtres que la nuit).
Madeleine fait partie des femmes de Ngayi, localité située à environ 12 km d’Ewo, dans la Cuvette-Ouest, qui s’occupent presque toutes seules de gérer leurs familles. Elle poursuit : "Je ne reçois aucune aide de mon ex-époux. Grâce à mes champs de manioc, j'ai récemment dépensé environ 200 000 Fcfa (plus de 300 €) pour les soins médicaux des enfants." Madeleine a finalement décidé de rompre avec son mari pour négligence. En effet, le Code de la famille congolaise (article 178), précise "les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l’obligation de nourrir, élever et instruire leurs enfants."
Des abandons très durs à vivre au quotidien... Fabienne*, mère de trois enfants est membre du groupement Makila Ma Kaya ("Le sang sèche", en langue téké, du fait que ces cultivatrices travaillent sous le soleil) explique : "Je supporte les frais scolaires et, quand les enfants sont malades, mon mari n’achète pas les médicaments... En ce moment, je suis à nouveau enceinte de lui, mais, faute de moyens, je n'ai pas encore commencé les consultations prénatales..."
"L'épouse n'est pas une esclave !"
Patricia*, membre du même groupement, elle, ne supporte pas sa séparation avec son mari : "Je me suis mariée à l'âge de 18 ans. Nous avions près de 30 ans de vie commune, puis il a épousé une seconde femme, sans mon consentement. Cette situation me tourmente. Notre unique revenu est le travail de la terre. Au moment où je vous parle, nous sommes en train de nous séparer..."
D’un ton accusateur, Sylvain Onkeya, secrétaire du village Ngayi, défend les hommes d'une façon pour le moins étrange... "Si les hommes sortent de leur maison, c'est qu'il y a problème, notamment dans la vie sexuelle. Fatiguée, à son retour des champs, souvent la femme ne cède pas à son mari !" Le secrétaire de Ngayi va même jusqu'à affirmer que le mari peut aider sa femme au foyer ou aux champs pour qu'elle soit moins fatiguée, mais que ce n'est pas une "obligation" en tant que chef de la maison...
Certaines épouses encouragent sans le savoir cette logique machiste. Chancelvie Massamba, la vingtaine et mariée, en est convaincue : "La femme doit être là où se trouve son mari. S'il appartient à un parti politique, je dois y adhérer moi aussi. Les opinions de mon époux sont aussi les miennes !" Ce à quoi Angélique Onounga directrice de la Promotion de la femme de la Cuvette-Ouest répond : "La liberté d'expression est un des droits de la femme au foyer. Elle doit aussi être nourrie et soignée. Soumise, elle n'est pas pour autant une esclave !"
2 à 5 ans de prison pour les maris violents
Angélique Kébi, agent de la direction départementale des Affaires sociales, est du même avis : "Les femmes devraient porter plainte contre leurs maris chez le chef du village, à la gendarmerie, ou chez nous, aux Affaires sociales." Sa direction, à travers différentes campagnes d'information, encourage par ailleurs les couples à utiliser des contraceptifs pour limiter les naissances, étant donné leur manque de moyens financiers.
Quelques unes osent briser le mur du silence et de la soumission. "J'ai porté plainte contre mon mari parce qu'il m'a battue. Les policiers l'ont libéré sur mon ordre, après un jour en garde à vue et le paiement d'une amende de 36 000 Fcfa (55 €). Je voulais alors protéger mes enfants du 'qu'en-dira-t-on'... A la suite de cette détention, j'ai été répudiée, car d'ordinaire, nos problèmes de couples ne se résolvent jamais en dehors de notre foyer. Mais, je n'en pouvais plus ! J'ai donc enfreint cette règle", raconte Constance*, première et unique femme de Ngayi à avoir osé porter plainte contre son bourreau de mari.
Pour rappel, le Code pénal congolais sanctionne les violences conjugales, en particulier les coups et blessures. En vertu de ce Code et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 à laquelle le Congo a adhéré, les maris violents risquent "un emprisonnement de deux à cinq ans et une amende de 4 000 à 48 000 Fcfa (6 à 75 €) s’il résulte de ces violences, une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours."
Aujourd'hui séparée de son mari, Constance ne regrette pas d'avoir porté plainte contre lui. Elle a désormais en effet la garde de ses enfants et encourage d'autres femmes à oser dénoncer les violences conjugales pour assurer leur avenir et celui de leurs enfants.
Mieux informés eux aussi, certains époux commencent à changer de mentalité. A l'image de David*, époux de Fabienne, qui promet : "Au village, le travail de la terre nous rapporte des revenus. A l'avenir, je m'occuperai mieux de mes enfants. Nous faisons erreur, en les négligeant. A partir d'aujourd'hui, je vais me réconcilier avec mon épouse !"
* Prénoms d'emprunt
Flore Michèle Makoumbou
Janvier 2017