(CRP/Syfia) A Brazzaville, certains hommes séronégatifs épousent sans crainte des séropositives. Une preuve d’amour, même si, selon les couples, tout n’est pas forcément facile au quotidien...
« Avant de m'engager avec mon épouse, j'étais un acteur de la lutte contre le VIH/Sida. Aujourd’hui, nous vivons comme tous les autres couples, sauf que nos rapports sexuels sont toujours protégés. A la maison, tout le monde rappelle à ma femme les heures précises de la prise de ses médicaments (antirétroviraux ARV, Ndlr) », explique Jean-Pierre Mahoungou, séronégatif.
Jean-Pierre est parmi ces hommes qui pensent que « l’amour surmonte tout ». Ces époux ont donc des femmes séropositives. Il est le mari d’Irène Mahoungou, la présidente de l'association « Bomoï » (« la vie », en lingala), une OSC congolaise engagée dans la prévention de la transmission du VIH/Sida de la mère à l'enfant. Aux côtés de sa femme, Jean-Pierre lutte contre cette pandémie : « Je me suis marié par amour. Etant un acteur de la lutte contre le Sida, je n'étais pas surpris quand mon épouse m’a annoncé son statut sérologique. Après trois ans de réflexion, j’ai averti ma famille, qui a bien pris la nouvelle. De son côté, ma femme a également été soutenue par toute sa famille. D'ailleurs, une de ses sœurs s'est engagée bénévolement dans l'association. »
Précautions à prendre
Mais, tout ne se passe pas toujours aussi bien… « Quand j’ai annoncé à mon mari séronégatif que j’avais le sida, il a d’abord regretté d’être ‘mal tombé’. Après un mois de réflexion, il a fini par m'accepter. Mais, lorsque je l'énerve, il me dit toujours des choses déplacées… J’observe toutefois qu’il me parle alors tout bas pour ne pas attirer l'attention. Pour moi, cette façon de réagir symbolise son amour », estime Marie*, 40 ans, mère de deux enfants. « Gérer le VIH/Sida est une affaire de couple. A partir du moment où vous êtes tous les deux informés, les autres n'ont plus besoin de le savoir », a-t-elle appris au centre de traitement ambulatoire (CTA).
Au sein même du couple, cet amour est malgré tout souvent soumis à rude épreuve… En dépit des risques, certains époux vont à l'encontre des plus élémentaires précautions lors des rapports sexuels. « L'utilisation du préservatif ne réjouit pas trop mon mari… Pour preuve, nous ne nous sommes pas protégés lors de la conception de notre deuxième enfant. Il est heureusement séronégatif, grâce au programme PTME », raconte Marie*, qui, encore aujourd’hui, craint toujours de contaminer son mari....
Ce programme permet de concevoir un enfant sain, dès le dépistage de la maladie, à partir de différents tests, d'un suivi rapproché de la mère et de l'enfant, d'un traitement adapté et de différentes précautions. Le PTME a commencé entre 2002 et 2005 à Pointe-Noire, avec l’aide de la Croix rouge française et en partenariat avec l'Union européenne. « Depuis son lancement en 2006 à Brazzaville, plus de 600 naissances ont été enregistrées, avec seulement deux cas d’échec (deux enfants contaminés à cause de futures mamans séropositives qui n'avaient pas bien suivi leurs traitement, Ndlr) », fait savoir le Dr Merlin Diafouka, directeur du CTA. Dans l’autre sens, selon lui, « si un séropositif désire un enfant et a des rapports sexuels non protégés avec sa femme. Dans les 48 heures qui suivent ces rapports et pendant 28 jours, cette dernière doit être mise sous traitement pour éviter d’être contaminée. Ensuite, la grossesse suivra son cours normal jusqu'à l'accouchement. A titre préventif, le bébé aura à la naissance le même traitement qu'un bébé PTME.»
Silence dangereux
Principal obstacle au traitement : le silence au sein des couples. « En général, les femmes ne révèlent pas leur statut sérologique, car elles sont totalement dépendantes économiquement de leurs concubins. Elles ont peur, ne sachant pas ce qui pourrait arriver…», remarque Monique Loko Malonga, assistance sociale chargée de l'éducation thérapeutique au CTA. Une attitude dangereuse qu’a pourtant adopté Denise*, la trentaine révolue, dépistée positive à la dernière semaine de sa grossesse : « Pour rien au monde, je n'oserais lui dire la vérité (de peur qu’il ne parte en me laissant la charge de notre bébé séronégatif, Ndlr). Après mon accouchement, j'ai été mise sous traitement d'ARV et mon bébé à l'allaitement artificiel. Mon concubin me demandait pourquoi je ne devais pas nourrir notre enfant au sein. Il se plaignait que ce bébé lui faisait faire des dépenses…»
A ce jour, le CTA estime à « 60 % sur près de 3 000 patients dépistés » les couples discordants, constitués en majorité de femmes séropositives et d’hommes séronégatifs. Parmi eux, des couples qui refusent de laisser le sida détruire leur amour et se protègent lors de leurs rapports sexuels.
*Prénoms d’emprunt
Flore Michèle Makoumbou
Juillet 2016