(CRP/Syfia) Souvent ignorantes de leurs droits en matière électorale, les Congolaises subissent les pressions de leurs époux dans le choix de leur candidat. Des associations et des pouvoirs publics multiplient les initiatives pour tenter de les libérer de ces pesanteurs.
Charlotte est couturière à Brazzaville. Elle a voté librement lors des législatives de 2007 et des présidentielles de 2009 : "Le vote, c’est un secret entre moi et l’urne. Je n'ai pas à faire l’objet d’injonctions ou d’insinuations de mon mari." A l'inverse, Yvette explique : "Je m’entends avec mon époux avant de choisir un candidat. S'il me dit qu’on doit voter untel, j’accepte, parce qu’on est ensemble. Parfois, quand c'est moi qui lui dis de voter tel candidat, il accepte."
En règle générale, nombre de femmes ne connaissent pas leurs droits en matière électorale au Congo. Elles ignorent en particulier l'article 4 de la Constitution de 2002 qui stipule que le suffrage est "universel, libre, égal et secret". Pour Lilian Barros, du Comptoir juridique junior (CJJ), les femmes ne doivent pas seulement maîtriser leurs droits, mais aussi les valoriser : "A cause de la tradition bantoue hautement phallocrate, leurs droits demeurent limités. L'homme veut toujours montrer qu’il est au dessus. Quand il s’agit de voter, il impose son candidat, prétextant qu’il est le chef du ménage."
Pour encourager les femmes à s'inscrire sur les listes électorales et améliorer ainsi leur participation aux prochaines élections en tant que candidates et électrices, Hugor Yoka, chargé de communication à Mibeko, explique que son association a informé l’année dernière 900 à 1 000 femmes à Brazzaville et placé dans chaque quartier des "piquets" (des gens) pour relayer l’information. "L’objectif est d’aviser au moins 10 000 femmes d'ici juillet prochain et les législatives prévues ce mois. Après Brazzaville, nous irons dans certains départements", projette Hugor Yoka. "Quand les femmes viennent avec leurs maris, nous rappelons à ces derniers que le vote est un libre choix. Il ne faut donc pas qu'il soit l’objet de menaces dans les foyers", insiste-t-il.
"Le mariage n’a rien à voir avec la politique !"
Samba André, chef de quartier 25 de l’arrondissement 2 Bacongo (un quartier sud de Brazzaville), a été formé en janvier dernier par Mibeko sur le thème : "Je suis femme, je m’inscris sur les listes électorales, je retire ma carte d’électeur et je vote mon député". Il promet de relayer ce message dans ses prochaines réunions avant les législatives. De son côté, Gaétan Nkodia, député, explique que son rôle est d'amener des électeurs vers la majorité présidentielle, mais que, "s’il arrivait que ma femme soit dans l’opposition, il n’y aurait pas de problèmes. C’est de bonne guerre, démocratiquement parlant, parce que l’opposition nous stimule à faire mieux."
Plusieurs OSC militent pour que plus de femmes aient cette même liberté. Assistante programme à l’Organisation pour le développement et les droits humains au Congo (ODDHC), Raïssa Moussounda, formée en janvier par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à l’observation électorale, est convaincue, elle aussi, que le vote est une affaire personnelle. "Nos membres sont en train d’être formées à travers des séminaires. Elles descendront ensuite dans les arrondissements, quartiers, églises ou marchés relayer l’information, afin qu’aux futures élections (législatives de juillet, locales de 2013 et présidentielles de 2016, Ndlr), la femme congolaise vote sans subir l’influence de son époux."
Dans d’autres ONG, la sensibilisation produit déjà ses fruits. A Pointe-Noire, grâce aux séminaires organisés entre 2006 et 2007 par le Centre de promotion de la femme en politique (CPFP), deux époux quinquagénaires expriment aujourd’hui leur liberté sans que cela n’affecte leur foyer : "Comme on nous l’a appris lors d’un séminaire, le mariage n’a rien à voir avec la politique !"
Ghislaine Oba Apounou, conseillère juridique au ministère de la Promotion de la femme, rappelle : "Nous avons la politique nationale du genre. Et les textes régissant les libertés et droits fondamentaux au Congo tels que la Constitution mettent tous l’accent sur la liberté du vote." Pourtant, la compréhension de cette liberté semble encore très ambiguë dans certains ménages. A l'image du couple Mpassy du quartier Mbota de Pointe-Noire : "Nous nous sommes unis pour former une seule chair. Je dois faire la volonté de mon mari ou il doit faire la mienne. L’amour, c’est avant tout l’uniformité de la pensée."
Jean-Thibaut Ngoyi et John Ndinga-Ngoma