(Syfia/CRP) À 35 ans, Joséphine Enoce Bouanga, ingénieure en développement rural, met sa science à profit. Sa petite entreprise produit notamment du lait de graines de courge. Une découverte brevetée qui ne passe pas inaperçue chez les consommateurs et les autorités.
Une bâtisse de deux pièces perdue dans un quartier périphérique de Pointe-Noire, capitale économique du Congo. Tout autour poussent du manioc, de l’oseille, du maïs et de la banane plantain. Une jeune femme avec un bébé au dos sort de la maison d'où parviennent les vrombissements d’un broyeur et d’un générateur. C’est Joséphine Enoce Bouanga. Cette ingénieure de 35 ans est ici à la fois à son domicile et dans son entreprise.
Après sa maîtrise à l’Institut de développement rural (IDR) de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, Joséphine s’installe en 2000 à Pointe-Noire. À Agri Congo, un institut d’appui au développement, elle bénéficie d’un stage et choisit pour spécialisation la transformation des produits agricoles. "Elle était très impatiente, car elle constatait un petit fossé entre ce qu’on lui avait appris à l’Université et la réalité du terrain", se souvient Blaise Mouelet, un de ses encadreurs. En 2006, en préparant son doctorat, Joséphine crée donc sa propre coopérative : Enoce Bio.
Aidé d'un personnel constitué uniquement de femmes, elle produit un mélange de farines de soja et de maïs auquel elle ajoute parfois de l'arachide. Après un autre stage au centre de formation en agronomie tropicale de Songhaï au Bénin, elle se met à transformer d’autres produits dont les graines de courge. "La valorisation alimentaire de la courge" (thème de son DEA en 2008) permet à Joséphine de faire une comparaison entre le lait de graines de courge et celui de soja.
Un exemple pour les femmes
En 2008, lors de la foire nationale, elle expose gratuitement au stand de l’Association Pointe-Noire industrielle (APNI), une OSC qui aide à l’émergence des PME et PMI. "Joséphine valorise les produits locaux et crée des débouchés pour la paysanne qui cultive la courge, un produit lié à notre culture. Elle montre aux Congolaises qu'elles peuvent être aussi dynamiques, actives et innovatrices que les hommes", souligne Didier Sylvestre Mavouenzela, président de l’APNI, structure qui aide l'ingénieure dans la recherche de bailleurs et a permis ainsi le financement de dix entreprises en 2008 par différents partenaires.
Selon Joséphine, ses produits auraient des vertus médicinales. Jusqu’ici, aucun test n’a toutefois été fait par des spécialistes, même si certains nutritionnistes, dont le docteur Ouakatoulou, spécialisé dans la production de chocolat, reconnaissent des vertus au lait de graines de courge et à son sirop à base d’ail. Certains consommateurs sont déjà conquis. "J’apprécie les qualités diététiques et les vertus médicinales de ces produits", explique par exemple Patrice Compte, un agriculteur français.
Joséphine commence à être connue aussi en haut lieu. A l’occasion du Salon africain de l'invention et de l'innovation technologique organisé en octobre dernier au Mali par l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), qui a breveté en 2008 son lait de graines de courge, elle a ainsi serré la main du président malien Amadou Toumani Touré. "J’ai fait connaître à mes frères d’Afrique de l’Ouest les apports de la graine de courge, car là-bas, on ne consomme que la pulpe et on jette la graine, alors que c’est la partie la plus riche", rapporte l'innovatrice.
"Mine d’or" et matériel rudimentaire
Autre souvenir inoubliable pour elle : sa rencontre avec le ministre congolais chargé de l’Industrie, Rodolphe Adada, fin 2009 : "Lorsque j’ai fini de lui présenter mon activité, il m’a lancé 'Madame vous êtes une mine d’or qui s’ignore'", rapporte-t-elle, ravie, avant de poursuivre "Ces mots encourageants me donnent la force de foncer." D'autant plus que M. Adada aurait promis de doter son entreprise d’une chaîne de transformation, afin de la rendre plus moderne et plus productive.
Un apport qui serait précieux. Pour l'heure, Joséphine en est en effet encore au stade de l’artisanat. Son unité de production se limite quasiment à un broyeur à marteaux, un robot électrique et une table de tri des graines. Sa capacité de production est de 10 000 sachets de farine de soja d’un kilo par mois, 100 litres de lait de graines de courge par semaine (sur commande uniquement) et 300 litres de sirop d’ail par semaine.
Débordante d'idées, Josephine projette à présent de faire de la farine infantile de banane plantain. Ses différentes initiatives permettent, en partie, de combler un vide. Au Congo, rares sont en effet les entreprises de transformation agricole.
Blanche Simona
Un secret bien gardé
(Syfia/CRP) Coopérative créée en 2006 par Joséphine Enoce Bouanga, Enoce Bio produit notamment du lait à partir des graines de courges cultivées dans les départements de la Bouenza et de la Lékoumou, au sud du Congo. Le décorticage, manuel, peut prendre des semaines à raison de cinq sacs de 50 kg par mois. Ces graines sont ensuite mises à tremper puis broyées par un robot électrique. Le jus recueilli est ensuite filtré puis embouteillé. Pour ne pas exposer son invention brevetée en 2008 par l’OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle) "à l’imitation et à la tricherie", Joséphine s'abstient de décrire avec précision son processus de fabrication du lait de graines de courge. Elle est par contre intarissable sur les vertus de son produit phare : "Ce lait ne provoque aucune intolérance ; les nourrissons comme les personnes âgées peuvent en consommer." Joséphine se dit aujourd’hui bio et fière de l'être : "Mes produits ne contiennent pas d’additifs chimiques. Ils peuvent se conserver entre six et douze mois", assure-t-elle. Ne disposant pas encore d’un entrepôt, elle ne produit son lait que sur commande et conseille à ses clients de le conserver au frais. "Le produit mal conservé garde ses vertus, mais il perd toutefois son goût succulent", prévient-elle.
B. S. |
Mars 2010