(Syfia/CRP) À Brazzaville, de jeunes diplômés en géographie ou en sociologie, au chômage, deviennent pharmaciens sans aucune formation. Ils vendent dans les rues des médicaments non contrôlés. Peu chers, ces derniers sont la plupart du temps faux ou périmés. Mal conservés, ils représentent un réel danger pour les consommateurs.
Comme tous les jours, vendeurs et acheteurs sont au rendez-vous au marché de Ouenzé, à Brazzaville. On s’interpelle. On marchande. On se bouscule. Chacun veut se frayer un chemin pour passer. À l’entrée, plusieurs étalages sont remplis de boîtes de sirop, de flacons de désinfectant, de seringues et de produits pharmaceutiques en tous genres. Ils proviennent d’Inde, de Chine et de France et transitent par la RD Congo. Au Congo Brazza, ils ne subissent aucun contrôle. C’est ici, sur ce marché, que s’approvisionnent les vendeurs de rue – qu’on retrouve ensuite sur les artères de Brazzaville avec leurs étalages mobiles – et les revendeurs de l’intérieur du pays.
Stephan est licencié en géographie :"Dès que j’aurai un travail stable, dit-il, j’abandonnerai ce commerce. En tant qu’intellectuel, je sais que ces produits sont dangereux, car ils sont rarement contrôlés. Mais, je ne peux pas rester oisif : j’ai une famille à nourrir." Brice, 24 ans, licencié en sociologie, est lui aussi vendeur, à défaut de mieux. Six ans que cela dure… "Je n’ai pas encore eu la chance d’intégrer la fonction publique", confie-t-il, en espérant toujours être embauché par l’État.
La plupart des vendeurs, qui ont fait des études, poursuivent cette activité qui peut être rentable. "Grâce à ce commerce, j’ai obtenu ma licence et je loue une maison. Je l’abandonnerai dès que je trouverai un emploi correspondant à mes diplômes", assure N. R., 30 ans, licencié d’histoire qui gagne environ 90 000 Fcfa (135 € environ) par mois. Presque le double du SMIG au Congo...
Bon nombre de jeunes, diplômés sans emplois, et même des fonctionnaires et des militaires, qui arrondissent ainsi leurs fins de mois, vivent de cette activité bien qu'elle soit illégale. Parmi ces vendeurs, quelques femmes, comme Clarisse (28 ans) et Nadège (29 ans) qui n’ont pas fini leurs études secondaires, faute de moyens. Clarisse a été initiée par son grand frère et Nadège par son mari. "Nous vivons de ce commerce, même si la police et les pharmaciens nous mènent la guerre, car c’est illégal", soulignent-elles.
"Les médicaments deviennent un poison"
De son côté, le gouvernement est en train de mettre en place des comités de lutte contre cette vente illicite. Seule une personne diplômée est en effet autorisée à vendre des médicaments. Ces commerçants de rue sont donc passibles d’amende et d’emprisonnement. Début juin dernier, plusieurs recommandations ont été adoptées au Forum pharmaceutique international d’Abidjan (Côte d’Ivoire) visant notamment l’intensification de la lutte contre la vente illicite de médicaments et la contrefaçon.
Les propriétaires de pharmacies suivent de près ce combat. "Cette vente représente un manque à gagner pour nous. Certains produits sont faux ou périmés", déclare Girelle Oko, pharmacienne professionnelle. Pour ces praticiens, qui ont suivi une spécialisation de trois ans, laisser des gens sans formation vendre des médicaments est une aberration. "À la différence de ces vendeurs qui apprennent sur le tas et ne maîtrisent pas les médicaments qu’ils prescrivent, nous, nous avons la connaissance", fait remarquer un pharmacien. Certains malades se soignent sans aucun avis médical.
El-Staël Enkari