(Syfia/CRP) Au Congo Brazzaville, le mariage a perdu sa cote d’amour. Bon nombre de couples lui préfèrent le concubinage, moins contraignant et surtout moins ruineux. La plupart des mairies avouent leur impuissance à faire respecter la loi, qui limite à 50 000 Fcfa le montant de la dot.
Le concubinage, tokobe ou yaka to vanda ("vivre ensemble comme cela" en kongo et lingala), a ces derniers temps le vent en poupe chez les Congolais. Et cela, même si ce genre d’union expose à toutes sortes de difficultés : rejet de la famille, absence de reconnaissance légale, problèmes d’héritage quand la mort survient et de garde des enfants en cas de séparation, etc. Médard en a fait dernièrement l’amère expérience : "La fille avec laquelle je vivais est morte en accouchant. Ses parents ont exigé que je l’épouse après son décès, puis que je prenne en charge l’enterrement."
Un sondage mené à titre personnel l’an passé par Maître Auguste Iloki, vice-président de la Cour constitutionnelle, dans les trois grandes villes du pays (Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie) auprès de 1 000 couples révèle que 75 % d’entre eux vivent en concubinage. Dans 10 % des cas, les parents de la mariée ont reçu une pré dot et seuls 15 % des couples se sont passés la bague au doigt. Ainsi, la plupart des mairies sont de moins en moins sollicitées pour célébrer des mariages. Selon les statistiques de l’État civil de Mfilou (7e arrondissement de Brazzaville), en 2008, il y a eu 89 mariages dans cette mairie, alors qu’il y a dix ans leur nombre avoisinait les 150. De son côté, entre janvier et mai 2009, la mairie centrale de Brazzaville n’a célébré que 63 mariages. Elle en avait célébré 212 en 2007...
"Marchandage infamant"
Pour certains fonctionnaires, qui ne touchent que 50 000 Fcfa par mois (75 € environ), mariage rime avec mirage. Les plus décidés s’endettent. Les autres renoncent. "Pour épouser une femme, il faut avoir de l’argent. Ce que je gagne ne me permet pas de m’engager. Pour l’heure, je préfère rester comme cela", explique Alain, combattant des Forces armées congolaises.
Officiellement, pourtant le montant de la dot est limité à 50 000 Fcfa (75 €) par le Code de la famille de 1984. Dans les années 80, les parents respectaient ce montant. Certains couples avaient même leur bénédiction pour s’unir en déboursant dix fois moins. Autre temps, autres mœurs. L’enquête menée par Me Iloki révèle que le futur époux doit désormais payer entre 100 000 et 600 000 Fcfa (entre 150 et 900 € environ), sans compter la dot à verser en nature... Des sommes qui varient selon les départements, les tribus, les familles… "On m’a demandé 500 000 Fcfa. Avec les accessoires en nature, j’ai dépensé pour mon mariage autour d’un million et demi (près de 2 300 €)", confie Jacques, qui, après 17 ans d’union consensuelle, s’est décidé à franchir le pas. Il explique, l’air un peu triste : "Je suis allé voir mes beaux-parents après avoir perdu un enfant. Il y avait aussi l’état de santé souvent critique de madame…". Nathalie, son épouse, semble justifier les sommes astronomiques exigées de son mari : "Pour recevoir ma belle-famille, mes parents ont dépensé 600 000 Fcfa !"
Me Agathe Julie Mampouya, notaire, renvoie familles et belles-familles dos-à-dos : "La dot constitue un marchandage infamant pour la femme congolaise dont la famille de la mariée et celle du gendre sont complices." Complices également, certains agents de mairie qui, pour inscrire le mariage dans leurs registres et le célébrer, demandent 180 000 Fcfa (275 € environ), alors que le Code de la famille ne mentionne pas ces droits d’inscription. Chaque mairie décide donc du montant. En février dernier, celle de Dolisie, au sud-ouest du pays, les a réduits de 75 000 à 30 000 Fcfa (de 115 à 45 €). Effet immédiat sur le nombre de mariages : 15 en 2008, 25 de février à mai 2009.
L’exemple de feu le président Bongo
Pas évident pour toutes les municipalités de faire appliquer la loi... "Il est difficile de faire admettre à un parent qui a dépensé tant d’argent pour élever et scolariser sa fille, de ne demander que 50 000 Fcfa. Nous faisons foi à l’attestation de dot signée par le chef de famille de la future épouse, légalisée par la mairie qui justifie le montant versé. Les parents peuvent percevoir plus, mais n’écrivent que 50 000 Fcfa sur l’attestation, et les textes pour les sanctionner n’existent pas", reconnaît, un peu gêné, un officier d’État civil de la mairie de Mfilou.
Marien Nzikou-Massala