(Syfia/CRP) À Pointe-Noire, les malades mentaux sont marginalisés au sein de leurs familles et dans la société. En l'absence d'hôpital psychiatrique et de réaction des pouvoirs publics, ils errent dans les rues depuis des années. La population s'en inquiète et les rejette.
Philippe passe ses nuits sur le perron d'un bâtiment administratif à lire les journaux. Il dit avoir la cinquantaine, un bac en poche et être venu de Kimongo (ville du département du Niari, au sud du Congo Brazzaville) il y a près de vingt ans. Bien qu'il s'exprime correctement, Philippe est considéré comme fou. "Même mes parents m'ont rejeté… Les jeunes et les grandes personnes me provoquent et me frappent", se plaint-il. Le prétendu dément ironise : "Les vrais fous, ce sont eux. Ma chevelure (hirsute, Ndlr), mes habits (des haillons, Ndlr) sont normaux. Je raisonne, je lis... Je ne mérite pas l'appellation de fou." Certains artisans des alentours le confirment. "Le pauvre n'est pas agressif. Il ne provoque personne. Il ne vole pas et il gagne sa vie en ramassant les ordures. Mais, certains lui lancent des pierres", regrette Maurice Ngoma.
Philippe n'est pas le seul à être rejeté de la sorte. Au centre-ville et dans tous les quartiers (Foucks, Tié-Tié, Mbota, Mawata) de Pointe-Noire, les malades mentaux sont exclus de leurs familles et de la société. "Un fou est une personne inutile !", affirmait récemment dans un bus une femme, se disant pourtant intellectuelle. Les causes de cette stigmatisation sont le plus souvent d'ordre culturel. Pour beaucoup, en effet, la maladie mentale aurait des origines mystiques. "La folie, c'est la malédiction par des parents !", lance un enseignant vacataire dans une école primaire.
"Le vrai fou, c'est l'homme en cravate"
Si les parents sont souvent montrés du doigt, les malades sont parfois considérés comme responsables de leur propre malheur. "Certains fous paient le tribut de leurs actes. Si vous avez fait du mal aux autres, la nature ne peut vous le pardonner. Une victime peut aller voir un marabout pour vous maudire", explique en substance le pasteur Noël Madoura, qui se dit guérisseur. Il nuance cependant : "Il existe aussi des folies liées à la drogue et à différentes pathologies comme le paludisme cérébral." Un responsable de la police administrative, psychologue de formation, évoque pour sa part parmi différentes causes possibles "des chocs psychologiques comme les horreurs des guerres ou les déceptions sentimentales". "Les parents, très superstitieux, les conduisent alors chez des charlatans, poursuit-il. Mais souvent, le traitement se solde par un échec. C'est ce qui explique la prolifération des fous (dans les rues, Ndlr)."
Paul Labou, psychologue et directeur du Centre spécialisé de rééducation orthophonique et oto-acoustique abonde dans le même sens : "Si les malades mentaux errent dans la ville, c'est parce que personne ne s'occupe d'eux. Aucun asile psychiatrique n'existe. On oublie que ce sont des personnes qui peuvent (dans certains cas, Ndlr) être sorties de cet état. Dès lors, le vrai fou, c'est l'homme en cravate qui abandonne son frère en l'accusant gratuitement d'avoir pactisé avec le diable", explique-t-il, très remonté.
L'asile de l'hôpital Adolphe Sicé est en effet fermé depuis une quinzaine d’années. Les autorités sanitaires départementales ont refusé de se prononcer sur le sujet, mettant en avant l'indisponibilité ou l'absence d'autorisation de leur hiérarchie. "Nous ne comprenons pas pourquoi on a fermé l'asile de Pointe-Noire. Nous avons déjà demandé sa réouverture", déplore un agent de la police administrative. En absence d'un lieu d'accueil et de soins adaptés, les malades ont bien du mal à cohabiter avec le reste de la société. Plusieurs personnes disent ainsi avoir été agressées physiquement voire blessées par certains d'entre eux. Un habitant du 4e arrondissement se plaint de son côté de louer dans une parcelle abritant deux enfants malades : "Ils volent ou détruisent nos objets. Je ne peux rien faire, mais je me soucie de cette famille. Ce serait différent si elle était prise en charge."
Les mêmes droits
La Constitution de 2002 stipule pourtant dans son article 30 que les personnes âgées et les handicapés ont droit à "des mesures de protection en rapport avec leurs besoins physiques, moraux ou autres, en vue de leur plein épanouissement", mais les autorités n'ont jamais ne serait-ce que dénombré avec précision les malades mentaux. Bien que le professeur Georges Marius Moyen, ministre de la Santé et de la Population ait promis des avancées significatives, le plan national de développement sanitaire et d'autres programmes ne prennent pas vraiment en compte la santé mentale.
La société civile plaide pour la réhabilitation de l'asile de Pointe-Noire et la formation d'agents spécialisés. "L'État devrait former des personnes qui prendront en charge ces compatriotes. Ces derniers devraient bénéficier des mêmes droits que les personnes dites normales", souligne Georges Nguila, chef d'antenne de l'Observatoire congolais des droits de l'Homme.
John Ndinga-Ngoma
Novembre 2010