(Syfia/CRP) Ces derniers temps, les slameurs sont de plus en plus appréciés à Brazzaville. Parmi ces magiciens des mots, des jeunes regroupés en une association. Voix affirmées et textes engagés font leur succès.
"Ici, on ne dit pas merci. La joie est très loin du paradis. Les feux des entrailles ne sont pas maudits, mais heureux sont les bannis. Tout le monde veut partir ailleurs, fuir la galère, la guerre, avoir un rêve nomade (…). Donc, je ne suis pas perdu. Quelqu’un a juste déplacé ma rue, m’a montré les rêves de la télé que le pays tarde à réaliser (…)", déclame Aryan 04 sur un ton léger, le regard perdu au ciel.
Puis le silence se fait. La voix de Précieux coordonnateur du groupe Styl’Oblique s’élève dans le hall de la cafétéria du Centre culturel français (CCF). "Le slam…" lance-t-il. "… s’enflamme !", répondent ses complices à l'unisson. Depuis trois ans, c'est le cri de ralliement de cette formation d'environ une vingtaine de jeunes. Aryan 04, Boris, Robinson Solo… Chacun des membres marque sa présence par une composition personnelle. "Toi, femme que mes yeux ont longtemps convoitée / Toi femme qui pieds nus dès l’aurore bravait des sentiers masqués de cailloux et d’herbes/ Femme qui, pagne s’arrêtant aux genoux, activait nuit et jour ce feu de bois (…)", enchaîne Robinson Solo dans Lettre à une femme.
Slameurs porte-parole
Étudiants ou chômeurs pour la plupart, âgés de 18 à 35 ans, ces poètes des temps modernes décident de créer le groupe Styl’Oblique en 2007 à Pointe-Noire. Ils n’ont alors pas de lieu pour se retrouver et sollicitent le concours du CCF qui met à leur disposition un local pour leurs rencontres. Le groupe se forme avec Loïc Bonimar, slameur français, et construit petit à petit sa propre identité. "Styl’Oblique est un nom qui a une valeur affectueuse ; c’est le nom de l’association de Loïc", explique Précieux Boumba, coordonnateur de l’association au Congo.
À Brazzaville, le slam connaît ces derniers temps un certain engouement. Le groupe ne rate jamais une occasion de se produire. Ses membres jouent le plus souvent au CCF et lors de festivals ou de manifestations populaires. "Slamer pour moi signifie sortir de ma coquille, extérioriser la partie cachée de ma vie, mes envies, mes peurs et mes doutes", confie Memelle, une collégienne de 15 ans primée lors de la compétition interscolaire lancée par Styl’Oblique. Ce concours a réuni, en mars dernier, plus de 500 élèves de sept établissements (collèges et lycées) et une vingtaine de professeurs.
Un premier coup d’essai applaudi par les responsables des écoles qui déplorent avoir peu d’activités de ce genre pour susciter le talent de leurs apprenants et désirent que cette dynamique s'amplifie tout au long de l’année. "Je pense que c’est un excellent moyen pédagogique pour inciter les enfants à écrire, à les forger dans la narration", argumente un professeur de lycée de Brazzaville. Une compétition qui a aussi eu du succès auprès des élèves : "Ces slameurs sont comme nos porte-parole. Ils expriment ce que nous ressentons : déboires comme espoirs", résume une lycéenne.
Art tous publics
"Les jeunes raffolent de cette nouvelle forme d’expression, il n’y a qu’à voir le nombre d’élèves et de professeurs qui se sont impliqués lors de la compétition interscolaire", se félicite Ferdinand, coordonnateur du magazine Planète Jeunes (Congo) qui voudrait que certains écrits soient publiés dans les revues de la place pour faire connaître le talent de ces jeunes. "Ces joutes verbales captivent et font prendre conscience", observe Dorient Kaly, administrateur de l’association Espace Tiné dont l’objectif est de mettre en valeur les arts de la parole et du langage. Cette ONG encourage des jeunes en les invitant lors de son festival (Rencontres itinérantes des arts de la parole et du langage, RIAPL, à Brazzaville) et intervient parfois dans les écoles. Dorient estime que le succès du slam repose sur ses textes. "Difficultés d’emploi, problèmes de santé, abus d'hommes en arme... Ils font réfléchir, car ils répondent aux besoins des jeunes. Tout le monde semble y trouver une part de son vécu", précise Dorient.
"En mariant poésie et spectacle interactif, le slam est un terrain d'expression idéal. Il touche tous les publics, bien au-delà des cercles littéraires classiques. En ce sens, il se rapporte aux formes traditionnelles d’expression comme les incantations lors des séances initiatiques dans les campagnes", analyse Abdon Fortuné Koumbha, directeur artistique du festival RIAPL.
Festival, stages, spectacles… Les jeunes slameurs ont dorénavant différentes tribunes pour s’exprimer. Le souffle de leur poésie engagée ne semble cependant pas avoir encore atteint les sphères des autorités spécialisées. Beaucoup d'entre elles ignorent tout de cette nouvelle forme d'expression.
Annette Kouamba Matondo
Juillet 2010