(Syfia/CRP) Viols, coups, humiliations… Au Congo Brazzaville, bon nombre de femmes subissent toutes sortes de violences au quotidien dans leurs foyers. Soumises, poussées à la réconciliation par leurs familles, rares sont celles qui portent plainte contre leurs bourreaux de maris.
"J’ai épousé un ivrogne. Une fois, parce que je lui demandais l'argent de la popote, il m'a tapée avec une bouteille de bière sur la tête. Je me suis évanouie… Quand je me suis réveillée, j'étais dans un lit d'hôpital avec 12 points de suture", témoigne Elise*, une enseignante de 56 ans. Cette mère de huit enfants est en instance de divorce après 30 années passées aux côtés de son mari ingénieur, qui ne lui a donné ni amour, ni sécurité.
Si Elise n’a que très tardivement pensé à quitter ce qu’elle qualifie aujourd’hui d’enfer, c'est parce que, pendant longtemps, la pression familiale a été trop forte… "Quand je me suis mariée, mes parents m'ont fait comprendre que, du moment que j'étais d'accord pour la dot, ils n'accepteraient pas que je divorce. Ma mère me disait qu'une bonne épouse devait être soumise et obéissante…" Elle ajoute, le regard triste, "j'ai donc subi sans protester les viols et les crachats de mon mari… Il a même touché mon salaire à mon insu. Fin 2010, il a tenté pour la cinquième fois de me poignarder… Je ne pouvais plus rester dans ce foyer."
Quelques femmes portent plainte
Selon Gabriel Ngoua, magistrat, les femmes qui ont le courage et la liberté de se plaindre pour sévices conjugaux sont généralement celles vivant en union libre. Faute d’une loi spécifique sur les violences conjugales, la justice applique alors l’article 311 du Code pénal qui prévoit à l'encontre de tout auteur de violences une peine allant de deux jours à deux ans de prison ou 4 000 à 48 000 Fcfa (6 à 75 € environ) d’amende et dommages et intérêts à payer à la victime.
Les femmes mariées traditionnellement et légalement ont beaucoup plus de mal à dénoncer leurs agresseurs. "Dans ces unions dites "à deux degrés", les deux familles privilégient généralement le règlement à l'amiable comme le demande le droit coutumier pour maintenir la femme dans son foyer", relève Gabriel Ngoua. Patricia*, 23 ans et mère de trois enfants, unie coutumièrement et officiellement depuis cinq ans à un jeune commerçant rapporte ainsi : "En avril dernier, j'ai quitté mon mari qui me frappait souvent. Hélas, à sa demande, ma belle-famille s'est réunie avec la mienne et mes parents m'ont ramenée dans mon foyer." L’œil gauche bandé, elle poursuit, gênée, "je ne dois pas refuser de 'faire l’amour' avec lui, sinon il me bat. Il dit qu'il n'a pas versé 800 000 Fcfa (plus de 1 200 €) de dot à ma famille pour que je vienne dormir paisiblement dans son lit."
Patricia a donc été obligée de retourner dans son foyer après que son époux lui ai acheté deux pagnes super wax, d'une valeur de 65 000 Fcfa (100 €) chacun en guise d'amende. Ce genre d'arrangements est fréquent. Le droit coutumier congolais veut par exemple que, à la suite d'une réunion de conciliation, un homme qui bat sa femme lui achète un cadeau et offre des boissons à la belle-famille pour demander pardon. Il peut alors reprendre son épouse dans son foyer.
"La dot fait de l'époux le maître de sa femme"
Abandonnées par leurs propres familles, ces femmes portent sur leurs épaules tout le poids d'une certaine conception de la tradition. "La femme est considérée comme un enfant que le mari doit corriger", constate Sylvie Viviane Tchignoumba Mouanza, magistrate et vice-présidente de l’Association des femmes juristes du Congo (AFJC), une ONG qui conseille ces femmes et lutte pour le respect de leurs droits. "Les parents considèrent ces violences comme normales. Nous informons les femmes battues de leur droit à porter plainte, mais il y a une telle pesanteur de la coutume qu'elles n’osent pas aller jusque devant les tribunaux. Certaines craignent de voir leur époux aller en prison. Il y a aussi la peur du divorce, car la femme pense qu'elle a plus de valeur avec son étiquette de femme mariée. Elles vivent ainsi dans le silence ces violences", indique-t-elle.
Pour Prosper Mboumba, sexagénaire, sage et chef de quartier à Pointe-Noire, les parents sont responsables de l’état de servitude dans lequel se retrouve leur fille une fois mariée, dès lors qu'ils réclament une dot élevée. "Ils exigent entre 500 000 et deux millions de Fcfa (entre 760 et plus de 3 000 €) au lieu des 50 000 Fcfa (75 € environ) prévus par notre Code de la famille. Du coup, l'épouse est chosifiée, la dot fait de l'époux son maître", déplore-t-il.
Une opinion réfutée par certains hommes. "L'époux violent est né ainsi. Cela n'a rien à voir avec la dot !", proteste Mack, un jeune marié. Selon lui, "la dot scelle l'amour des deux conjoints." Abondant dans le même sens, Simon Pierre*, 56 ans, dont plus de 30 années de mariage, soutient que "c'est le besoin d'affirmer son autorité sur son épouse qui transforme le mari en bourreau." S’appuyant sur sa propre expérience, il pense cependant qu’un époux violent peut changer et redevenir un tendre amant : "Il doit se réapproprier l'époque où ils étaient amants, prendre conscience que son épouse est malheureuse du traitement qu'il lui inflige et apprendre à être maître de lui-même. C'est ce que j'ai réussi à faire avec le temps. Aujourd'hui, le dialogue prime dans mon foyer", affirme-t-il.
Sylvie Viviane Tchignoumba Mouanza souhaite pour sa part que les décideurs prennent des dispositions particulières pénalisant les violences conjugales. Ce qui, selon elle, contribuera à les réduire : "L'époux y réfléchirait alors à deux fois avant de lever la main sur sa femme !"
Blanche Simona
Mai 2011
* Prénoms d’emprunt.