(Syfia/CRP) Désireux d'arrondir leurs fins de mois, des enseignants négligent le public pour le privé où leurs compétences sont recherchées. Ils y font plus sérieusement leur travail par crainte d'être sanctionnés. Pendant ce temps, leurs élèves du public sont un peu délaissés…
Neuf heures. Les élèves du collège public de la Liberté à Talangaï sortent en recréation. La cour se teinte de kaki et de bleu, les couleurs de la tenue des élèves de ce collège brazzavillois. A l'intérieur, certains professeurs s’apprêtent à prendre le relais dans les salles de classe, d’autres font déjà le point de la journée. "Les cours se déroulent normalement. Les enseignants sont présents en dehors de quelques cas isolés", se félicite une autorité de cette école.
Dans bon nombre d'établissements, des professeurs sont en effet aux abonnés absents ou bâclent leur travail pour aller donner des cours dans le privé où ils arrondissent (40 à 50 000 Fcfa, 60 à 75 €) leurs fins de mois. "Notre salaire (70 à 80 000 Fcfa, 105 à 120 €, Ndlr), assure Bled, professeur dans une école publique, est insuffisant pour joindre les deux bouts." Dans le privé, ils s’investissent davantage parce qu’ils sont payés à l’heure (1 000 Fcfa, 1,5 €) et ont peur d’être renvoyés. Ils sont par ailleurs obligés de terminer les programmes scolaires. "Si un enseignant manque le cours, il est sanctionné. La rigueur et le suivi font défaut dans le public", résume Paulin, un enseignant du privé.
Les professeurs des écoles d'Etat sont très sollicités, car ils ont en général participé à des formations pédagogiques efficaces. "L'encadrement qu’ils ont reçu est aussi bénéfique pour le privé", déclare Brice, directeur d’une école, avant de poursuivre, "sur 15 agents, sept de l’école publique évoluent avec nous ; le reste se forme sur place." Un cumul de postes mal perçu du côté du ministère chargé de l’Enseignement. "Les textes n'autorisent pas à exercer à la fois dans le privé et dans le public", rappelle Gaëtan Mayoukou, inspecteur général de l’enseignement primaire, secondaire et de l’alphabétisation, qui contrôle l'ensemble des écoles. "Chacun doit respecter ses heures de travail avant d’aller ailleurs", conclut-il.
Scolarité à deux vitesses
Certains élèves, découragés par l'irrégularité de leurs enseignants, sont tentés d'abandonner leurs études. D'autres peinent à suivre dans une classe où ils sont au moins 60, contre seulement 20 à 30 dans le privé. D'après Bienvenu Eyiamoro, parent d’élève, "dans les établissements privés, on ne regarde que l’argent. Même s'il échoue, l’enfant se retrouve en classe supérieure. Par contre, celui du public passe grâce ses propres efforts". Dans certaines écoles, l’élève paye 5 à 10 000 Fcfa (7,5 à 15 €) par mois, alors que l’enseignement est gratuit dans le public.
Les parents qui en ont les moyens préfèrent inscrire leurs enfants dans le privé, estimant meilleurs la qualité de l’enseignement et le suivi des élèves. Les résultats aux examens nationaux indiqueraient toutefois que les élèves de ces différents établissements ont les mêmes chances de réussite. "Les examens organisés par l’Etat sont nationaux. Les candidats du privé sont toujours brassés avec ceux du public. Ils passent les mêmes épreuves", précise Landry Ebata, directeur d'une école privée.
El-Staël Enkari
Janvier 2010