(Syfia/CRP) Depuis un an, une trentaine d’aveugles et de malvoyants, formés en agriculture et réunis autour d’une association, cultivent un champ de manioc de deux hectares. Ils y gagnent des revenus, de l'autonomie et de la considération de la part des voyants.
"Cultiver le manioc, ce n’est pas seulement l'affaire des voyants !", lance Emerson Massa, un aveugle, diplômé sans emploi reconverti avec bonheur dans l'agriculture. Regroupés en association, une trentaine d'aveugles et de malvoyants cultivent depuis un an le manioc sur deux hectares à Nkouo, un village situé à près de 90 km au nord de Brazzaville.
N’ayant exercé aucune activité auparavant, ces jeunes se sont assez naturellement tournés vers les métiers de la terre. Leur principale motivation : être autonomes et ne plus avoir à aller tout le temps acheter des légumes au marché. Ils se sont donc inscrits à une formation financée par la Mission évangélique braille de Suisse sur les techniques agricoles et comment devenir agriculteur en étant aveugle. Dieudonné Mbimi, un de ces malvoyants cultivateurs, explique : "Cette expérience, nous a permis d’aller au-delà de la ville pour enfin cultiver le manioc."
Le produit de ces champs, cultivés par les aveugles, est aussi pour eux. Ils vendent une partie de leur récolte à Brazzaville et consomment le reste. "40 % des revenus de la vente reviennent à l’ONG, pour financer d’autres projets (doublement de la surface du champ de manioc, Ndlr). Les 60 % restants assurent des revenus (40 000 Fcfa, 60 € environ, par personne et par mois) aux malvoyants pour subvenir à leurs besoins", précise Emerson Massa, par ailleurs président de l’ONG Viens et Vois.
Au champ, les aveugles ne sont pas seuls. "Nous sommes assistés par des valides qui nous préviennent par exemple s'il y a un serpent. Ces gens donnent bénévolement de leur temps et de leur énergie. Ils sont sensibles à notre cause et facilitent notre travail", apprécie Moukouyou, secrétaire général de Viens et Vois. Ce que confirme Armel Okoueke, voyant, qui accompagne souvent les amis de cette association dans leur plantation : "Nous collaborons facilement, car nous sommes habitués à travailler ensemble. Nous leur servons de guide". Cette aide, Armel dit la prodiguer par amour ; pour lui c’est une manière de contribuer à une initiative louable.
Eve-Evelyne, interrogée en train d'acheter du foufou, après s'être tout d'abord étonnée des personnes qui le lui vendent, partage cet avis. "Cette une démarche à encourager. Je ne discute donc pas trop sur les prix des sacs. C'est pour moi une manière de la soutenir."
Redonner le goût de la terre aux jeunes
Pays à vocation agricole selon le ministère chargé de l’Agriculture ("Une graine jetée sur n’importe quelle partie du sol congolais germe toujours"), le Congo, depuis que l’exploitation du pétrole a démarré dans les années 70, ne mise presque plus que sur l'or noir. Le pays n'exploite que 2 % de ses terres arables pour l’agriculture... Selon la FAO, le Congo importe chaque année 130 milliards de Fcfa (198 millions €) de denrées alimentaires. L'équivalent de la masse salariale annuelle du pays...
Pour tenter de remédier à ce dangereux déséquilibre pour la sécurité alimentaire et les finances de l'État, le gouvernement a lancé la construction de villages agricoles où seront recrutés des jeunes qui cultiveront sur place. Un soutien matériel (houe, arrosoir, pelle, engrais) et financier par exemple pour l'achat de boutures de manioc et la location de terres est promis à toute personne ou organisation qui se lancera dans ce domaine. La clôture de dépôt des dossiers aura lieu en septembre.
Selon Brice Aristide Benza, assistant en communication au Fonds de soutien à l’agriculture (FSA), une direction du ministère de l’Agriculture et de l’élevage, l’activité de Viens et Vois s'inscrit dans une des priorités du FSA, le développement des plantes à tubercules pour la consommation nationale. Comme d'autres associations, cette ONG pourrait donc à terme obtenir un financement.
Marien Nzikou-Massala
Juin 2010